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Quand sort la recluse

Fred Vargas (Flammarion)

mardi 25 juillet 2017, par FERRE

Et pour le neuvième tome de ses aventures, la brume, plus que jamais la brume. Celle de la photographie de couverture, celle surtout qui baigne le cerveau d’Adamsberg. La brume ou bien « les bulles », du pareil au même. Les bulles qui s’agitent dans l’esprit du commissaire, grossissent, remontent à la surface puis se dégonflent, ou parfois explosent, sans dégât, ou du moins en apparence. Car que reste-t-il de la ballade des bulles dans l’entrelacs labyrinthique des neurones d’’Adamsberg ? Des mots, des expressions. Des bouts de pensées, de phrases. Des indices en fait. Évidemment.

Donc voilà. Quelques mots, il faut les noter, Adamsberg finit par le faire pour s’éclaircir les idées – ça lui arrive. Page 424, ils sont là, pour la première fois :

Pigeonnier, j’ai pas trouvé le mot.
Évitement : angoisse de l’entrave (pigeon entravé) ou angoisse d’être pigeon (psychiatre).
Il n’y a plus personne à tuer (Veyrenc)
Tout grince là-dedans (Retancourt)
Ça roucoule sans cesse (Retancourt)
Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée.

Adamsberg doit partir de là. Parce que tout le reste, finalement, les 400 pages précédentes, c’était pour en arriver là, un ensemble de fausses pistes, ou ce qui avait amené le commissaire à noter cela. Des intuitions, des dialogues annexes, des dommages collatéraux, des éléments de preuve qui n’en sont pas, des réflexions à voix haute, ou avec des fantômes. Bon. Fred Vargas aussi est peut-être parti de là. De quelques idées vagues, associations d’idées ou défi volapuk, comprenne qui pourra. C’est Adamsberg qui pense, de toute façon. Il lui sera toujours beaucoup pardonné.

Donc, problème : à partir de ces bribes, lâchées allez savoir pourquoi, comment construire une intrigue et qui tienne debout, même de guingois, et nous faire croire, bon public, que tout cela est logique, enfin presque ? Oui, la lecture donne au final cette impression-là. Allez, résumons l’affaire en cessant de se faire des nœuds ou de se donner un genre : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Parce que c’est Adamsberg et que c’est tout son charme ? Oui mais non. L’évidence dans cette histoire se pointe très tôt, mais le commissaire l’évite l’air de rien, et fonce tête baissée dans l’obscur et l’indémêlable. Autrement dit : ailleurs, ce serait tout droit, et il faudrait donc trouver autre chose pour garder accroché le lecteur. Sur ce Vargas, c’est dans tous les sens avec des demi-tours et des impasses en sous-sol, et c’est justement pour cela qu’il faut applaudir à la maestria affichée. Bah, non.

Le sport cérébral proposé est un peu chiant, pardon, et la résolution de l’histoire sur trente dernière pages laborieuses témoigne du besogneux du casse-tête. La tension avec Danglard est tout de même un brin factice, les second-rôles plutôt effacés par rapport à d’habitude, l’humour plutôt moins présent aussi. Comme si l’exercice de style, cette fois, l’emportait sur l’absurde fluidité coutumière. Comme si Vargas s’était laissée embarquer trop loin dans les brumes adamsbergiennes, et qu’elle peinait à en revenir. Du coup, une petite suggestion pour finir : puisque Mathias revient faire un tour dans ce volume, ne serait-il pas temps pour Fred Vargas de laisser respirer son commissaire et de nous donner des nouvelles de son trio d’historiens mis de côté depuis vingt ans (Sans feu ni lieu, 1997) ?