Accueil > Chroniques > Ils savent tout de vous

Ils savent tout de vous

Iain Levison (Liana Levi-piccolo)

jeudi 8 juin 2017, par FERRE

Tradition du mois de juin. Dans les gazettes débarquent les sélections « à lire sur la plage ». Le polar y est plutôt en bonne place. C’est que le genre, s’il occupe de plus en plus la chronique littéraire, reste tout de même à un niveau d’estime proche de celui de la mer, ce qui, finalement, tombe assez bien pour la sableuse occasion. Alors voilà donc ce qui pourrait passer pour un parfait roman de plage : pas trop compliqué, pas trop chiant, pas trop long, pas trop grand-chose quoi. T’en souviens-tu l’été dernier ? Ben non. Parti avec la marée. Le dernier roman de Levison, lui, s’attache au rocher. Et c’est tout l’art de l’Écossais, qui l’air de rien laisse des traces de maillot dans ta tête du lecteur envacancé.

De quoi s’agit-il ? De Snowe, simple flic du Michigan qui du jour au lendemain se découvre le don de lire dans l’esprit des autres. Plutôt pratique, ça. Surtout pour confronter un suspect. Snowe augmente singulièrement son taux de résolution. Il voudrait bien profiter de l’aubaine mentale pour faire de même avec son taux de séduction. Mais là, savoir ce que pense la demoiselle avec laquelle on ose prendre langue, c’est tout soudain une autre affaire. Pas si pratique, ce truc. C’est ce que se dit aussi Denny Brooks dans sa prison. Le tueur de flic aimerait parfois moins « entendre » ce qui encombre la tête des matons ou des autres détenus. Mais bon. Dans le couloir de la mort, il n’y a pas foule non plus.

Deux télépathes donc. D’où leur vient ce pouvoir pas forcément super ? La réponse se dévoile progressivement grâce à Terry, cheville ouvrière d’une mystérieuse section du FBI. Elle propose à Denny de mettre son talent au service de sa patrie. Il s’exécute. Puis s’évade. Un télépathe dans la nature ? Et si un autre comme lui lançait la chasse ? Terry recrute Snowe. Ce dernier entame sa traque. Et rien ne se passe bien sûr comme prévu.

La trame est légère, mais Levison est un malin. Il décale d’un rien ses personnages, et tout s’épaissit. Denny n’est pas le tueur de flic brutal et bas du front que l’on croit. Snowe n’est pas le flicard bouseux trop content de son nouveau gadgetocerveau que l’on imagine. Et Terry ? Les deux télépathes ne parviennent pas à pénétrer ses pensées. Illisible, la dame. Très bien pour l’effet de flou qu’entretient Levison en menant son bastringue pied au plancher. Le bonhomme sait raconter, vite et bien, en évitant les outrances ricanantes qui polluent de plus en plus le genre. Un bon point, dejà. Mais Levison en profite surtout pour glisser quelques considérations sur la bonne société de surveillance que nous dessinons avec entrain. C’est bien dans cette façon lanceur d’alerte que tient l’intérêt majeur du bouquin. « Ils » vampirisent les données personnelles que nous disséminons à profusion sans barguigner, plus ou moins conscients mais surtout je-m-en-foutistes subjugués, et advienne que pourra. Le que pourra, c’est ici l’œil sur absolument tout d’une agence gouvernementale qui actionne ses indicateurs pour voir la moindre évolution hors cadre susceptible de susciter son intérêt, trace évidemment quiconque n’importe où et n’importe quand, est capable de lui parler via le moindre instrument électronique à proximité. Le tout dans l’espoir de contrôler l’incontrôlable. La quête est vaine. La résistance itou. Reste à prendre la mer et fuir. Conclusion à panache du roman de Levison qui, ô miracle et rareté, appartient à la sous-sélection « de plage oui, mais qui permet de bronzer moins con ».