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Molécules
François Bégaudeau (Gallimard, Verticales)
vendredi 27 janvier 2017, par
Il n’a pas écrit un polar. Il s’est inspiré d’un fait divers. Nuance. Parce que le fait divers « a du talent ». Ce serait bête de ne pas en profiter. Comme il se frotte au genre, il est quand même allé voir de son côté, a lu une dizaine de polars, histoire, peut-être, de réviser les codes, et de surtout de ne pas faire comme ses auteurs, aussi bons fussent-ils. Il s’est donc appliqué à « revitaliser » (relativiser ?) le polar, en l’occurrence à s’occuper de ce que sentent ses habituels protagonistes : les flics, les proches de la victime, l’assassin, le juge et l’avocat, entre autres. En tordant les choses à sa manière. Du Bégaudeau donc, et encore heureux. Quoi d’autre sinon ? C’est un peu la question. Molécules est brillant, amusant, stimulant, et pourtant. Il dépasse rarement l’exercice de style.
Bégaudeau sait des mots jouer pour le dire autrement. C’est son truc. Jouissif pour lui, sans aucun doute, et même parfois pour le lecteur. Qui à la longue peut aussi se lasser de décrypter le petit malin. Exemple avec l’inspectrice en chef – le capitaine Brun – devant le cadavre de la victime :
« La peau mate sera bientôt livide. Le corps sujet au temps encore quelque temps. La morte continue sa petite vie. Pas seulement la rétractation des ongles, les écoulements d’urine, le refroidissement, la raideur qui gagne cellule par cellule. Plein d’autres aspects. On dit que l’âme survit au corps et c’est l’inverse. Le capitaine se répète cette phrase pour la scanner. Tient-elle de la formule facile ? La réponse est oui. Contient-elle néanmoins une part de vrai ? La réponse est différée ».
Bégaudeau ne lâche jamais. Pas la moindre phrase de répit. Il formule sans cesse. À la fin d’un chapitre, le lecteur souvent s’aperçoit qu’il n’imprime que pouic. D’autant qu’il saute d’un personnage à l’autre. L’auteur veut « faire droit à tous les individus, toutes les positions ». Molécules. Désagrégées. D’accord. Difficile du coup d’attraper vraiment quelque chose. Chacun défile et lance plus ou moins haut son bâton de majorette. Le capitaine Brun et le brigadier Calot donnent dans le dialogue burlesque et l’emportent à l’esclaffe. Certains métaphysiquent comme ils peuvent : on assume comment le deuil ? On devient pourquoi un meurtrier ? On s’accommode comment d’un fils assassin ? On lui laisse quelle place au désir de vengeance ? Tout cela passe, comme le narrateur qui débarque à la quasi fin du récit puis s’en va ses choses dites. Mais c’est qui tous ces gens ? Tiens, on peut s’amuser aussi de quelques considérations sur l’époque (les années 1990). Tiens, tout cela commence par la future victime qui se sent presque bien, et s’achève sur le bourreau qui lui aussi pourrait une seconde, peut-être une seule, se sentir bien. Ce Bégaudeau quand même !
On peut lire son Molécules en s’exclamant ainsi quelquefois, en picorant de petits plaisirs ici ou là, et constater trois semaines après qu’il reste quoi ? Quasiment rien. Alors on lui en veut un peu.